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Télétravail
L'accident survenu pendant la pause déjeuner du télétravailleur est-il un accident du travail ?
Pour les juges de la cour d’appel d'Amiens, la réponse est oui. En l'espèce, une salariée en télétravail a eu un accident en descendant les escaliers pour se rendre de son bureau situé au 1er étage de sa maison à sa cuisine au rez-de-chaussée et y prendre son repas. D’autres juges du fond n’ont pas la même position. Il reste à souhaiter que la Cour de cassation ait l’occasion de se prononcer et d’harmoniser le régime applicable à ce type d’accident.
Une salariée en télétravail a un accident après avoir pointé lors de la pause déjeuner
Après avoir badgé, une salariée en télétravail a un accident à 12 h 30 en descendant les escaliers pour se rendre de son bureau situé au 1er étage à sa cuisine au rez-de-chaussée, afin d’y prendre son repas. Elle est tombée jusqu’au bas des escaliers devant un témoin et ses lésions à l’épaule ont été constatées par un médecin, lequel lui a prescrit un arrêt de travail d’une dizaine de jours.
S’agissait-il d’un accident du travail ?
Non pour la CPAM de l’Oise, mais oui pour le tribunal judiciaire de Beauvais.
L’affaire est arrivée jusque devant la cour d’appel d’Amiens.
Pour la cour d’appel d’Amiens, l’accident survenu pendant une plage variable de l’horaire de travail et au cours une interruption de courte durée est un accident du travail
Les juges de la cour d’appel d’Amiens commencent par rappeler les bases, à savoir :
-la définition légale de l’accident du travail, qui s’entend comme « l'accident survenu par le fait ou à l'occasion du travail à toute personne salariée ou travaillant, quelle qu'en soit la cause, à quelque titre que ce soit, pour un ou plusieurs employeurs ou chefs d'entreprise » (c. séc. soc. art. L. 411-1) ;
-la présomption d’imputabilité au travail qu’en déduit la jurisprudence pour l'accident survenant au temps du travail et au lieu de travail (ex. : cass. civ., 2e ch., 11 juillet 2019, n° 18-19160 FPBI) ;
-la présomption d’accident du travail dont bénéficient les télétravailleurs quand un accident survient sur le lieu où est exercé le télétravail et pendant l'exercice de l'activité professionnelle du télétravailleur (c. trav. art. L. 1222-9).
S’agissant de l’affaire qui leur était soumise, les juges de la cour d’appel s’appuient sur les horaires de travail instaurés par l’employeur, ceux-ci comportant :
-des plages horaires fixes de travail allant de 9 h à 13 h 30 et de 14 h à 16 h 15,
-et des plages variables allant de 7 h 30 à 9 h pour l'arrivée, de 11 h 30 à 14 h pour le déjeuner et de 16 h 15 à 19 h pour le départ.
Ils en déduisent que l'accident est survenu pendant le temps du travail, la pause déjeuner étant prévue par l'employeur comme une plage horaire variable (11 h 30 à 14 h) laquelle est, selon eux, assimilable au temps de travail.
Les juges de la cour d’appel considèrent donc que la salariée n'avait pas interrompu son travail pour un motif personnel, de sorte qu'elle bénéficiait de la présomption d'imputabilité lors de la chute intervenue pendant cette plage de temps.
Pour la cour d’appel d’Amiens, c’est donc à raison que le tribunal judiciaire a retenu que « si l'évènement était survenu pendant la pause méridienne, il n'en demeurait pas moins que cette période constituait une interruption de courte durée du travail, légalement prévue, assimilable au temps de l'exercice de l'activité professionnelle tel que prévu » par le code du travail (c. trav. art. L. 1222-9).
En conséquence l’accident devait bel et bien bénéficier de la présomption d’accident du travail.
Rappels sur le régime de l’accident survenu pendant la pause repas
L’accident du salarié sur site. - Au regard de la jurisprudence de la Cour de cassation relative aux salariés travaillant sur site, l'accident du travail est celui qui arrive en cours d'exécution du contrat de travail, à un moment et dans un lieu où le salarié est placé sous le contrôle et l'autorité de son employeur.
Le lieu de travail est lieu de travail proprement dit (atelier, chantier, bureau, etc.), mais également l’enceinte de l’entreprise et ses dépendances (ex. : local servant à la restauration).
Le temps de travail comprend les périodes d’exécution du travail et les périodes qui lui sont connexes (ex. : temps de pause déjeuner dans les locaux de l’entreprise).
Enfin, pour être qualifié d’accident du travail, l’accident doit survenir lorsque le salarié est sous l’autorité et la surveillance de l’employeur.
Par exemple, l’accident survenu à un salarié entre la cantine d’entreprise et son bureau a pu être qualifié d’accident du travail (cass. soc. 27 avril 1988, n° 86-12425 D).
L’accident du télétravailleur. - S’agissant de l’accident dont est victime un télétravailleur, toute la question est de savoir s’il intervient « sur le lieu où est exercé le télétravail et pendant l'exercice de l'activité professionnelle du télétravailleur » (c. trav. art. L. 1222-9).
Dans le cadre de l’affaire qui nous intéresse, la CPAM considérait que l’accident de la télétravailleuse n’était pas un accident du travail, en faisant notamment valoir que la télétravailleuse n’était plus sous la subordination de l’employeur au moment de son accident. Mais comme on l’a mentionné (voir plus haut), la CPAM n’a pas été entendue par la cour d’appel d’Amiens.
Dans une autre affaire tranchée en avril 2024 cette fois par la cour d’appel de Rouen, une télétravailleuse qui badgeait au début et à la fin d'une période de travail avait été victime d’un malaise en revenant de sa pause déjeuner, à 13 h 30 selon la déclaration de la salariée.
La cour d’appel de Rouen a indiqué que « s'il est admis que les périodes qui précèdent ou suivent l'exécution de celui-ci, ou les pauses et/ou temps de repas, soient également considérées comme du temps de travail, c'est dans la mesure où le salarié reste placé sous l'autorité, la surveillance ou le contrôle de l'employeur ». Ici, la salariée, qui avait débadgé à 12 h 08, n’avait pas badgé à son retour de pause déjeuner et n’avait pas réussi à prouver qu’elle avait repris le travail au moment de son malaise. La cour d’appel de Rouen a donc considéré que la seule circonstance que la salariée ait été retrouvée inanimée par son fils dans son bureau n’était pas « suffisante pour établir la preuve d'un malaise au lieu du travail et pendant l'exercice de l'activité professionnelle, qui serait survenu alors qu'elle se trouvait sous l'autorité, la surveillance ou le contrôle de l'employeur ». La salariée ne pouvait pas se prévaloir de la présomption d’accident du travail (CA Rouen 26 avril 2024, RG n° 23/008410, https://www.courdecassation.fr/en/decision/662c9501b787c4000862f72f).
Deux visions semblent donc s’opposer parmi les juges d’appel, une vision « extensive » du temps de travail du télétravailleur comme celle de la cour d’appel d’Amiens (selon l’expression utilisée par la CPAM), et l’autre plus restrictive comme celle de la cour d’appel de Rouen.
Reste à savoir quelle serait la position de la Cour de cassation si elle avait l’occasion de se prononcer sur ce type d’affaire.
CA Amiens 2 septembre 2024, RG n° 23/00964, https://www.courdecassation.fr/decision/66d6a62ff26600b42a6eddee